Communiqués et avis aux médias

Adjudicateur en chef appelle à la destruction des dossiers du PEI

19 juin 2014

Adjudicateur en chef, Processus d’évaluation indépendant (PEI)
Secrétariat d’adjudication des pensionnats indiens (SAPI)

En vue de la Conférence de 2014 sur l'accès et la protection des renseignements personnels, Edmonton, 19 juin 2014

Introduction

Merci, David, de cette aimable présentation.

Je suis ici aujourd’hui pour parler d’une question qui revêt une grande importance pour les survivants des pensionnats indiens. Cependant, alors même que je vous parle, quelqu’un d’autre vit l’une des journées les plus importantes de son existence.

Au moment où nous parlons, au sud est d’ici, s’est réuni, autour d’une table, dans une salle de réunion d’un hôtel de Lethbridge, en Alberta, un petit groupe.

Il s’agit d’une salle tout à fait ordinaire. La semaine dernière, le Club « Rotary » y a tenu une réunion de son conseil d’administration. Elle est située quelque peu à l’écart et aujourd’hui, aucun signe particulier n’y figure sur la porte.

Si vous deviez pénétrer dans cette salle, vous y verriez une femme, assise à une extrémité de la table. Elle a fréquenté un pensionnat indien du sud de l’Alberta il y a plusieurs décennies et aujourd’hui, pour la première fois, elle relatera les détails de l’agression sexuelle qu’elle y a subie.

À côté d’elle se tient sa fille, d’âge adulte. Elle s’est rendue auprès d’elle, par avion, afin d’être à ses côtés.

À côté d’eux se trouve un travailleur du Programme de soutien en santé, l’un des centaines d’Inuits et de membres des Premières Nations qui assurent le soutien émotionnel ou spirituel des survivants des pensionnats.

Autour de la table se trouvent enfin le conseiller juridique de cette femme, un avocat du gouvernement, peut-être même un représentant de l’Église qui assurait le fonctionnement du pensionnat et l’un de nos 105 adjudicateurs qui ont été spécialement sélectionnés et formés en vue de la tenue de telles audiences.

La première tâche qui incombe à l’adjudicateur consiste à mettre cette femme à l’aise. La demanderesse a choisi de faire un trajet d’environ une heure et demie et de s’éloigner de sa communauté d’origine parce qu’elle préférait le respect de la vie privée et l’anonymat que nous pouvions lui offrir, à Lethbridge.

Maintenir un ton sûr et respectueux lors de l’audience est l’une des principales responsabilités de tout adjudicateur. J’ai moi même dirigé des centaines d’audiences au cours des dix dernières années. Certains demandeurs sont confiants et fiers tandis que nombre d’entre eux sont affligés d’une anxiété sévère lorsqu’ils doivent se remémorer leur séjour au pensionnat. Certains ont passé de nombreuses années à gérer leurs séquelles tandis que d’autres entament à peine leur périple les menant à une éventuelle guérison.

Comme un demandeur l’a récemment écrit :

« Lors de mon audience d’indemnisation du PEI, on m’a posé des questions sur ma vie avant mon séjour en pensionnat, ainsi que pendant et après celui ci. J’ai témoigné dans les moindres détails de mes expériences et de mes souffrances les plus pénibles, les plus dévastatrices, les plus intrusives et les plus intimes. J’ai dévoilé des violations et des traumatismes dont je ne parle jamais. Il est difficile de décrire convenablement le courage, le soutien et la confiance qui m’ont été nécessaires pour participer à mon audience d’indemnisation. Il m’a fallu de nombreuses années pour même envisager la possibilité de soumettre mon cas au PEI. En effet, la honte, la méfiance et la peur que je ressentais m’ont rendu très réticent à l’idée d’emprunter une telle avenue. »

L’audience de ce matin qui se tient à Lethbridge est l’une des 25 audiences de ce type qui se déroulent actuellement dans le cadre du PEI. Les audiences d’aujourd’hui se déroulent à Parksville, en Colombie Britannique, dans l’ouest du pays, à High Level, en Alberta, dans le nord du pays et à Kingston, en Ontario, dans l’est du pays. Dans l’ensemble, aujourd’hui même, 23 demandeurs relateront leur histoire, au même titre qu’un auteur présumé et qu’un témoin.

Plus de 4 000 anciens élèves des pensionnats participeront, cette année, à une audience du PEI.

Le Processus d’évaluation indépendant (PEI)

Prenons un peu de recul et voyons pourquoi se tiennent ces audiences.

Il y a à peine dix ans, des milliers d’anciens élèves tentaient d’obtenir une indemnisation du fait des expériences qu’ils avaient connues dans les pensionnats en intentant des poursuites à titre individuel ou dans le cadre d’un recours collectif.

Les demandeurs et les défendeurs — les gouvernements et les Églises — ont négocié la fin de telles revendications en signant la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI) pour laquelle il n’existait aucun précédent. Cette Convention de règlement, qui a été approuvée par les tribunaux canadiens en 2007, a instauré deux nouveaux processus d’indemnisation.

Le premier, le Paiement d’expérience commune, était un programme géré par le gouvernement. Il assurait une indemnisation à chaque survivant ayant vécu dans un pensionnat, en fonction de la durée du séjour.

Cependant, les parties ont reconnu que certains anciens élèves avaient subi des sévices plus graves. Le PEI fut mis sur pied pour ces élèves afin de leur offrir une indemnisation pour les sévices sexuels, les violences physiques graves ainsi que les autres actes illicites ayant causé de graves séquelles psychologiques. C’est ce processus que je gère à titre d’adjudicateur en chef.

Le PEI est un processus extrajudiciaire, privé, axé sur le prestataire qui a été conçu expressément afin de favoriser la guérison et d’empêcher la revictimisation. Aucun effort n’a été ménagé pour mettre en place un processus qui soit juste mais aussi axé sur les besoins des demandeurs. Les parties ont reconnu que cela serait impossible dans une salle de tribunal publique, avec tous les mécanismes propres à un tribunal et avec un contre interrogatoire mené par plusieurs avocats. Il convenait de se doter d’un processus plus adéquat pour gérer les problèmes de méfiance de longue date et répondre à un profond besoin de respect de la vie privée.

Le PEI adopte un modèle inquisitoire. Cela signifie que l’adjudicateur pose toutes les questions. Si les parties peuvent proposer des pistes de questionnement, elles ne peuvent elles mêmes interroger le demandeur. Les adjudicateurs reçoivent une formation spéciale pour s’assurer de la tenue d’un processus d’audience adapté au contexte culturel qui favorise l’établissement d’un environnement sûr pour les demandeurs.

Les demandeurs n’ont pas non plus à faire face à leurs agresseurs présumés. Dans la mesure du possible, on communique avec les agresseurs présumés et on les invite à donner leur version des faits lors d’une audience distincte qui se déroule dans un cadre qui ressemble beaucoup à celui qui prévaut dans le cas du demandeur. Cependant, les agresseurs présumés n’ont pas le droit de confronter les demandeurs; aucune décision en matière de responsabilité pénale ou civile n’est du reste rendue à leur endroit.

Le PEI est confidentiel. Contrairement aux audiences devant les tribunaux, les audiences du PEI se tiennent en privé. En outre, tous les participants doivent signer un accord de confidentialité de sorte que l’information ne soit pas divulguée en dehors de la salle d’audience.

Les parties à la Convention de règlement ont expressément choisi de se soustraire au principe de l’audience publique du fait qu’elles savaient qu’un tel processus serait trop difficile à surmonter pour les anciens élèves et constituerait un obstacle absolu à ce que justice soit rendue pour la plupart d’entre eux.

Dans son affidavit à la Cour, l’ancien chef national Phil Fontaine – qui est lui même un survivant – s’exprime comme suit : « Les audiences du PEI devaient se tenir dans la plus stricte confidentialité ». Cette disposition a spécifiquement été intégrée à la Convention de règlement que toutes les parties ont signée.

Le besoin de confidentialité est souvent fréquemment le plus intensément ressenti lorsque sont déposées des allégations à l’encontre d’autres anciens élèves : il arrive fréquemment que le demandeur et l’accusé résident fréquemment toujours dans la même collectivité et ils peuvent être parents par le sang ou unis par les liens du mariage.

Lors de chaque audience, nos adjudicateurs tentent d’assurer les demandeurs du fait que leur information demeurera confidentielle, dans le cadre du PEI. Notre objectif est de veiller à ce que l’information que nous confient les demandeurs, en toute confiance, soit éternellement protégée.

À ce titre, ainsi qu’à de nombreux autres égards, le PEI ne ressemble à aucun autre processus que l’on retrouve aujourd’hui dans le système de justice canadien.

S’il importe de préciser ce qu’est le PEI, il importe encore plus de préciser ce qu’il n’est pas.

Le PEI n’est pas un programme gouvernemental. Il s’agit d’un processus indépendant, mis en place par les tribunaux, en vertu de la Convention de règlement.

À titre d’adjudicateur en chef, je ne suis pas un fonctionnaire. J’ai été sélectionné par les parties et nommé par les tribunaux. Je ne relève pas du gouvernement du Canada. Je relève des tribunaux et je demande conseil à un Comité de surveillance, lequel regroupe des représentants de toutes les parties.

Tous nos adjudicateurs ont été choisis par les parties et ils sont indépendants du gouvernement du Canada. Cette indépendance par rapport au gouvernement constituait une condition nécessaire sans laquelle les tribunaux chargés de la surveillance n’auraient pas approuvé la Convention de règlement.

La Commission de vérité et réconciliation du Canada — un processus ouvert et public

La Convention de règlement est unique, à un autre égard. La même convention qui est à l’origine de notre processus d’indemnisation privé et confidentiel a également créé un processus ouvert et public, soit la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR).

Pendant que nous tenions discrètement des audiences à huis clos dans des bureaux d’avocats, des chambres d’hôpital, des maisons de survivants et des salles de réunion d’hôtel, la CVR se déplaçait à travers le pays, recueillant des déclarations de survivants et éclairant les Canadiens sur ce sombre chapitre de notre histoire.

Si la CVR n’est pas une commission d’enquête publique, elle a néanmoins un vaste mandat qui consiste à « créer un dossier historique le plus complet possible » sur le système des pensionnats et ses séquelles.

La confidentialité des personnes ayant survécu à des mauvais traitements est en jeu

Nous sommes fiers d’avoir appuyé la CVR dans son travail. Nous sommes tous deux des créatures de la même Convention. Et nos deux organismes adoptent, à l’égard de notre travail, une approche axée sur les survivants.

Nous nous retrouvons cependant aujourd’hui à la croisée des chemins.

Le gouvernement du Canada a indiqué que comme il défraie les coûts de notre travail, il contrôle les documents et dossiers que nous avons reçus et créés dans le cadre du PEI.

La Commission de vérité et réconciliation affirme qu’elle dispose d’un droit d’accès à ces documents et qu’elle envisage d’en verser des copies à un Centre national de recherche, à l’Université du Manitoba.

Je rejette catégoriquement ces deux propositions.

Ce que nous protégeons — les documents

Quelle est donc la nature de l’enjeu, en l’espèce?

Nous protégeons sensiblement le témoignage des demandeurs du PEI, lesquels sont au cœur de notre processus. Nous protégeons en outre la vie privée des autres personnes dont il est fait mention dans ces documents et dont les vies ont été touchées voire parfois dévastées, par ces événements.

Chaque demandeur remplit un formulaire de demande détaillé. Chaque audience est enregistrée et plusieurs d’entre elles sont transcrites.

Chaque demandeur qui participe à une audience reçoit, d’un adjudicateur, une décision écrite.

Au total, nous avons reçu quelque 38 000 demandes, tenu plus de 21 000 audiences et délivré plus de 19 500 décisions écrites.

La somme d’information que l’on retrouve dans ces dossiers est stupéfiante et leur contenu est intensément personnel.

On y identifie les demandeurs, les témoins et les auteurs, même si certaines allégations sont plus tard rétractées voire ne sont jamais prouvées.

On y expose d’horribles mauvais traitements physiques, sexuels et émotionnels.

On y décrit les répercussions qu’ont eues ces événements sur la vie des personnes qui ont été victimes de mauvais traitements, en exposant notamment des comptes rendus intimes de toxicomanie, de violence familiale, de dommages psychologiques et de tentatives de suicide.

Enfin, on y évoque les dévastatrices répercussions intergénérationnelles qui ont causé d’énormes souffrances au sein des communautés autochtones, dans toutes les régions du Canada.

Mais ce n’est pas tout.

Outre les formulaires de demande, les enregistrements audio, les transcriptions et les décisions, nos processus mettent en cause des centaines de milliers d’autres documents que les demandeurs doivent produire pour prouver leurs allégations.

Il s’agit, pour ne nommer que ceux-là, de dossiers médicaux, de documents relatifs à l’emploi, à l’impôt sur le revenu, aux études ou aux établissements correctionnels.

Au total, notre base de données sécurisée renferme plus de 795 000 documents, ce nombre augmentant quotidiennement.

Nous avons retenu les services du Dr David Flaherty, l’ancien commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de Colombie Britannique, qui est de surcroît un historien réputé dans le domaine de la protection de la vie privée, à titre d’expert. Celui ci affirme ce qui suit : « Rarement, voire jamais, dans l’histoire du Canada, une somme si considérable de documents extrêmement sensibles a t elle été exigée d’un si grand nombre de demandeurs dans le cadre d’un recours collectif ou d’une enquête comparable visant une indemnisation ou une réparation ».

Selon lui, ces documents « seraient normalement détruits par leurs gardiens d’origine — et non archivés par ceux ci — du fait que de tels documents de routine ne présentent pas de “valeur durable” ».

Je plaiderai devant les tribunaux que ces documents, y compris les dossiers médicaux, les documents relatifs aux études ainsi que les dossiers financiers des survivants ne devraient pas se voir conférer une durée de vie plus longue et une plus grande visibilité du simple fait qu’ils concernent quelqu’un qui a été maltraité dans un pensionnat.

Les documents confidentiels ne sont pas nécessaires pour préserver l’histoire

Mais qu’en est il des objectifs plus larges de la Convention de règlement, qui consistent à promouvoir la réconciliation et la sensibilisation de la population? Ce fonds documentaire s’avère t il essentiel pour protéger le dossier historique des pensionnats indiens? Il ne l’est pas.

Nous devons tout d’abord nous rappeler que les documents historiques concernant le fonctionnement des écoles sont déjà conservés à Bibliothèque et Archives Canada. Des millions de documents ont été remis à la CVR et seront rendus accessibles par le Centre national de recherche, à l’Université du Manitoba.

La Commission de vérité et réconciliation a en outre fait un admirable travail pour documenter l’histoire des pensionnats dans les mots des survivants. Grâce à sept événements nationaux et à des douzaines d’audiences communautaires, des milliers de survivants ont pu reprendre contact et partager leurs expériences.

Près de 7 000 survivants ont fait des déclarations publiques et privées à la CVR, en donnant leur consentement exprès à leur utilisation.

Nous avons appuyé les travaux de la CVR en participant à leurs événements nationaux pour rencontrer les demandeurs et répondre aux questions sur notre Processus.

Cependant, la CVR estime que le dossier historique ne sera complet que si les demandes, transcriptions, enregistrements et décisions de chacun de nos 38 000 dossiers lui sont remis et conservés dans un Centre national de recherche.

Celaci n’est pas nécessaire.

David Flaherty estime que

« les journalistes, les historiens, les politicologues et les autres chercheurs peuvent écrire sur l’héritage des pensionnats au Canada sans avoir accès à plus de 38 000 dossiers de demande ».

Les historiens intègres de notre société reconnaissent qu’il y a lieu d’établir un équilibre entre le droit collectif de savoir et de se souvenir et d’autres valeurs, aux rangs desquelles figure la protection de la vie privée de tout un chacun.

De surcroît, les historiens et les générations futures n’ont pas à connaître les détails intimes de la souffrance vécue par chacune des personnes concernées pour documenter convenablement les mauvais traitements qui se sont produits.

Prévenir une catastrophe au plan de la vie privée

Comme le souligne l’un des demandeurs, dont la Commission de vérité et réconciliation souhaite archiver ce qu’il a vécu, sans son consentement :

« Au moment où s’est tenue mon audience du PEI, personne ne m’a dit qu’il y avait le moindre risque que l’information dévoilée soit conservée dans des archives auxquelles la population aurait accès, plus tard. Je n’aurais jamais participé au PEI si j’avais su qu’une telle éventualité existait. Je suis profondément bouleversé de savoir qu’il est possible que d’autres personnes, y compris mes descendants, puissent y avoir accès. Lors de mon audience du PEI, j’ai dû puiser au plus profond de mon âme et en extirper de douloureux souvenirs dont, pour la plupart, je n’avais jamais parlé avant et je n’ai tenu mot depuis. J’ai choisi d’exposer cette douleur sur la table qui se trouvait devant moi dans la salle d’audience du PEI et je ne veux pas que quelque trace de mon passé soit conservée dans des archives nationales. »

Un autre demandeur estime, pour sa part que « si cette information devait un jour être dévoilée à l’extérieur de mon dossier du PEI, je m’en trouverais revictimisé et cela m’anéantirait ».

David Flaherty est d’accord. Il avance ce qui suit :

« L’archivage de tous ces documents pour qu’ils soient conservés, utilisés et divulgués pourrait porter les germes d’une catastrophe au plan de la vie privée dans ses répercussions ultimes sur les intérêts au chapitre de la vie privée d’un groupe de survivants défavorisés, maltraités et stigmatisés des pensionnats, lesquels sont désormais exposés au risque d’être de nouveau victimisés. »

Nous ne devons pas permettre que la catastrophe que représentent les pensionnats devienne une catastrophe au plan de la vie privée.

Cependant, pour éviter une telle catastrophe, nous devons désormais nous interroger sur ce qu’il y a lieu de faire de ces documents, une fois le PEI arrivé à son terme.

Les tribunaux contrôlent et protègent les documents

Le gouvernement est d’avis que puisqu’il contrôle le financement du PEI, il en contrôle également les documents. Si tel devait être le cas, Bibliothèque et Archives Canada déterminerait quels documents ont une valeur historique durable et lesquels peuvent être éliminés — alors que nous savons pertinemment que de nombreux ministères conservent des documents beaucoup plus longtemps qu’ils ne sont tenus de le faire.

Nous savons également que la Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale ne protège les renseignements personnels que pendant une période de 20 ans, après le décès de la personne concernée. Ceci n’est pas ce qu’ont négocié les survivants lorsqu’ils ont signé la Convention de règlement et qu’ils ont renoncé au droit d’intenter des poursuites en échange de la confidentialité du processus.

De surcroît, non seulement le contrôle qu’exerce le gouvernement sur ces documents menace-t-il la confidentialité que les demandeurs se sont vus promettre mais il met également en péril le caractère indépendant de ce processus.

Le PEI a été mis sur pied afin de résoudre les revendications devant les tribunaux mettant en cause le gouvernement du Canada à titre de défendeur principal. Il serait pervers de constater que le règlement de ces revendications est assorti d’une condition prévoyant le transfert massif des renseignements personnels des plaignants au défendeur. Je suis certain que pour la plupart des demandeurs, il s’agirait là d’une mauvaise surprise, non justifiée.

Au lieu de cela, du fait de la supervision par les tribunaux du règlement du recours collectif et de mon propre rôle de fonctionnaire judiciaire, nous sommes d’avis que les documents du PEI relèvent du contrôle des tribunaux.

En cela, ils ne sont pas assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels non plus qu’à la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada. Le Canada n’a aucun droit de les transférer à Bibliothèque et Archives Canada.

Le Canada n’est non plus tenu à aucune obligation — et n’a quelque droit que ce soit — de transmettre les documents du PEI à la Commission de vérité et réconciliation.

Protéger les documents

Manifestement, en déterminant qui contrôle les documents, on ne répond pas à la question qui consiste à déterminer ce qu’il y a lieu d’en faire.

Serait il raisonnable — voire possible — d’obtenir le consentement exprès des demandeurs et des autres participants en vue de l’archivage de leurs documents?

En fait, la Convention de règlement établit que les demandeurs devraient se voir offrir la possibilité de verser la transcription de leur audience à des archives créées expressément spécifiquement à cette fin.

Nous avons entrepris de nous pencher sur cette option il y a cinq ans et nous avons tenu des discussions approfondies avec la Commission de vérité et réconciliation. La Commission s’est ultimement retirée de ces discussions lorsqu’elle a pris conscience du fait qu’en offrant aux demandeurs la possibilité de dire « Oui », elle leur donnait également le droit de dire « Non ».

Qu’en est il du caviardage — opération qui consiste à supprimer tous les renseignements qui pourraient permettre d’identifier les demandeurs et toute autre personne?

Dans les faits, il faut comprendre que même si l’on devait se doter d’une armée de personnes munies de marqueurs noirs et les inviter à effectuer cette opération jusqu’à ce que mes enfants prennent leur retraite, cette tâche ne serait toujours pas terminée. L’exercice en tant que tel représenterait une atteinte à la vie privée, exposant des renseignements délicats à une multitude de responsables du caviardage.

En outre, des études ont démontré qu’il est pratiquement impossible d’assurer un caviardage efficace. David Flaherty estime que « l’on dispose désormais d’une riche littérature sur le caractère extrêmement périlleux que revêt le fait de tenter de rendre anonymes des renseignements personnels — et que les risques de réidentification sont très élevés ».

Pourrait-on envisager de sceller les documents ou les dossiers pendant un certain nombre d’années?

En définitive, cette solution consisterait tout simplement à reporter le fardeau sur les générations futures — générations où les survivants auront disparu. Et en quoi une telle solution permettrait elle de respecter les attentes légitimes en matière de protection de la vie privée?

Comme l’un des survivants l’a dit :

« Mon bien être physique, sexuel, psychologique, émotionnel et spirituel a été profondément violé au pensionnat et j’en ai été très gravement blessé. […] Le risque ou la possibilité de toute autre utilisation ou divulgation, de mon vivant voire uniquement à mes descendants, après ma mort, me perturbe considérablement et renforce la souffrance que j’ai subie suite à mon séjour en pensionnat. Je veux vivre en sécurité et en paix, en sachant que les documents que possède le PEI sur moi ne seront ni utilisés ni divulgués pour quelque autre fin que ce soit et qu’ils seront détruits en toute sécurité et de manière définitive, aux termes du Processus, et j’estime avoir un tel droit. »

L’ancien chef national Phil Fontaine fait sien ce sentiment lorsqu’il affirme ce qui suit :

« Si quelque élément que ce soit de cette information devait être versé à des archives, et même si celles ci devaient être scellées pendant dix ans, cinquante ans, cent ans voire pendant une période encore plus longue, il n’en reste pas moins que l’identité des auteurs de ces crimes et de leurs victimes deviendrait un jour disponible à leurs descendants ou à des chercheurs qui pourraient éventuellement publier cette information. Au sein de nos communautés, de telles informations — même acquises par les générations futures — perpétueraient les séquelles de dysfonctionnement et de traumatisme imputables aux pensionnats. »

La position de l’adjudicateur en chef

Quel bilan tirer de tout cela?

Dans le cadre du PEI ont été faites, aux demandeurs, des promesses au plan de la confidentialité. Ces promesses doivent être tenues. Elles représentent un aspect fondamental de ce règlement historique.

Nous sommes les gardiens des secrets les plus intimes de milliers de personnes et nous sommes tenus à une obligation sacrée de conserver ces secrets en toute sécurité.

La Convention de règlement qui a mené à la création du PEI et de la CVR définit les objectifs généraux que sont la guérison et la réconciliation. Nous ne pouvons concilier ces objectifs avec le partage obligé des renseignements les plus privés et les plus délicats transmis par des personnes en situation de vulnérabilité qui s’attendent à ce que l’on préserve leur vie privée et qui méritent que tel soit le cas.

Après une analyse et une réflexion attentives, j’en suis venu à la conclusion que la seule façon de respecter la confidentialité des participants, et de préserver leur dignité, consiste à détruire tous les documents recueillis en marge du PEI, aux termes du processus d’indemnisation.

Telle est la position que j’adopterai devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, lorsque notre demande de directives sera entendue à Toronto, du 14 au 16 juillet.

Je tenterai également d’obtenir une déclaration selon laquelle toutes les copies des documents et des dossiers que détiennent les parties, y compris le gouvernement et les Églises ne pourront être utilisées que dans le cadre du PEI et ne pourront être publiées, distribuées voire archivées.

Au cours des prochaines semaines, vous entendrez certains prétendre que si l’on omet d’archiver l’intégralité des documents et des dossiers, on contribuera à couvrir les mauvais traitements et à faire disparaître un pan de notre histoire. Je ne suis pas d’accord.

L’histoire et les séquelles des pensionnats ne doivent jamais être oubliées. Cependant, le prix que l’on associe à ce souvenir ne doit pas passer par la trahison de ceux qui ont subi des sévices, alors qu’ils ont fréquenté ces pensionnats, lorsqu’ils étaient enfants.

Conclusion

Partout au Canada, aujourd’hui même, que ce soit à Sault Ste. Marie, à Winnipeg, à Prince Albert, à Vancouver et dans une vingtaine d’autres endroits, des demandeurs participent à nos audiences et relatent leur passé, en profitant des mécanismes de protection qui ont été intégrés au PEI et au processus d’audience.

J’ai assisté à des centaines d’audiences. Malgré les horreurs que j’y ai entendues et les véritables tragédies dont j’ai pu être témoin, j’ai toujours été frappé par la résilience des survivants.

Les personnes qui ont souffert de terribles sévices ont expliqué comment elles sont parvenues à surmonter la toxicomanie, à se réconcilier avec leurs proches et à forger un meilleur avenir pour leurs petits enfants.

Des psychologues nous ont indiqué que pour de nombreux anciens élèves, l’audience du PEI représentait un tournant singulier dans leur cheminement menant à la guérison. Grâce à la validation de leur expérience et à l’indemnisation financière obtenue par le biais du PEI, plusieurs d’entre eux ont pu poursuivre leur chemin menant à la guérison avec courage et fierté.

Tels sont les survivants que nous avons pu rencontrer lors des magnifiques événements nationaux organisés par la Commission de vérité et réconciliation, laquelle a accompli un extraordinaire travail pour documenter les séquelles des pensionnats indiens.

Après leurs audiences, de nombreux demandeurs du PEI ont trouvé la force nécessaire pour faire une déclaration volontaire à la CVR.

Ils ont consenti à parler de leurs vérités. Ils n’ont cependant dévoilé que ce qu’ils souhaitaient partager.

Ils se sentaient libres d’agir, après tant d’années d’impuissance. Du fait que désormais, un choix s’offrait à eux.

Tel était l’objectif de la Convention de règlement. Tel est l’objectif pour lequel je lutte — préserver la convention sur laquelle se sont entendues les parties, protéger la vie privée des survivants et des témoins et promouvoir la réconciliation et la guérison que l’on attend depuis si longtemps.

Merci.